Sur Dominique Chazy
Dominique Chazy aime composer des histoires. Aussi ne s’agit-il pas ici de commenter des œuvres aux contours communs déjà nettement identifiables, mais de tenter d’en indiquer les possibles devant ce qui est donné à voir. Dominique Chazy part d’une pratique « académique » : le dessin d’après un modèle vivant.
Cette pratique satisfait deux aspirations. Le désir, d’une part : voir, approcher le corps moyennant la distance du dessin. Résoudre la question du point de départ, par ailleurs : une pratique éprouvée, acceptée comme telle en l’état, permet de surmonter l’angoisse du vide à la surface. Comme chez Alberola, par exemple, la figure du corps est un point de départ mais ne structure pas entièrement le champ pictural : il y a une dialectique avec la couleur qui se déploie en taches, en nappes transparentes qui se croisent, se superposent. La figure du corps apparaît comme une constante régulant la surface, mais aussi comme la source de ses métamorphoses à l’infini.
Ce que l’on peut remarquer tout d’abord, c’est que l’attention à la figure du corps devient l’origine d’un ensemble de lignes en tensions. Là encore, on retrouve une pratique connue (notamment chez les maîtres de la Renaissance, tels Raphaël ou Léonard) de l’esquisse consistant à essayer plusieurs positions de telle ou telle partie, généralement les extrémités (tête, bras, jambes).
Mais, chez Dominique Chazy, l’exercice produit des opérations potentiellement plus complexes, telles des répétitions, des dédoublements, des rotations polaires et tout un jeu de superpositions et d’emboîtements. Les rotations, dans certains cas, s’accompagnent de celle du support dont des coulures ont laissées la trace. Le déplacement ou la répétition d’un membre peut être due encore à l’apport d’un fragment déchiré. Ces « déchirements » et collages peuvent donner lieu à un usage plus systématique, transformant peut-être l’insatisfaction devant certains dessins en un nouveau terrain d’expérimentations. Ils conduisent à d’autres modes d’accumulation et d’agglomération par contraction, voire « condensation », confinant parfois à l’abstraction.
Ce que montre notamment le travail de Dominique Chazy, c’est comment le dessin de modèle vivant peut devenir la matrice d’un espace pictural complexe. Car ici la ligne s’inscrit volontiers en couleurs, ce qui déplace les rapports entre linéaire et pictural : la ligne colorée s’affranchit du contour en se démultipliant. La ligne forme des compartiments vagues, donne occasion à transparences et opacités. Elle produit un espace incertain. De larges taches de couleurs jouent avec ces accumulations, ou agglomérations graphiques, dans une palette essentiellement rose, gris, jaune, vert en tons parfois rompus (olive, ocre, lie de vin). Elles semblent parfois souligner et animer une ligne, une forme, un mouvement, un membre. Non sans une certaine intensité, parfois, faisant penser à la façon dont le corps lui-même se colore sous l’action d’une émotion, d’une commotion ou d’une brûlure. On peut ainsi penser à la façon dont Pierre Klossowski « modèle » ses dessins à l’écoute de la résonance émotionnelle de telle partie du corps représenté. Mais la tache de couleur peut aussi souvent se glisser en dessous pour faire flotter ou émerger la figure en tout ou partie. L’incertitude métamorphique du champ pictural en est encore augmentée. La couleur fait ainsi apparaître et disparaître la figure guidant le regard du spectateur dans un parcours émotionnel, l’invitant à se perdre ou à s’arrêter devant une cuisse, une épaule, une tête. Ou encore à suivre la pulsation d’un écho figural. Tout cela se complique encore de variations de matière, de transparence, d’opacité, de lourdeur ou de légèreté : la couleur se contente d’effleurer le papier blanc, teignant la lumière du fond ou se charge, s’accumule par couches ou frottements là où l’affect insiste, sans doute. Il s’agirait donc de passer de l’enveloppe du corps à l’ouverture de la chair.
Pascal Rousse, mai 2009